Anatman/Atman (No-Self/Self)

Le terme sanskrit védique ātman (Pāli, attā), qui signifie littéralement souffle ou esprit, est souvent traduit en anglais par self, soul, ou ego. Étymologiquement, anātman (Pāli, anattā) se compose du préfixe négatif an plus ātman (c’est-à-dire sans ātman) et se traduit par non-soi, non-âme ou non-ego. Ces deux termes ont été employés dans les écrits religieux et philosophiques de l’Inde pour désigner un substrat essentiel au sein de l’être humain. L’idée d’ātman a été pleinement développée par les penseurs upanisadiques et vedāntiques qui ont suggéré qu’il existe bien dans la personnalité de chacun, un at-man permanent, immuable, immuable, omnipotent et intelligent, qui est exempt de chagrin et quitte le corps à la mort. La Chāndogya UpaniṢad, par exemple, affirme que l’ātman est « sans déchéance, sans mort, sans chagrin ». De même, la Bhagavadgītā qualifie l’ātman d' »éternel… non né… indéfectible… immuable, primordial… omniprésent. » Certains UpaniṢads soutiennent que l’ātman peut être séparé du corps comme l’épée de son fourreau et peut voyager à volonté loin du corps, notamment dans le sommeil. Mais le bouddhisme soutient que puisque tout est conditionné, et donc soumis à anitya (impermanence), la question de l’ātman en tant qu’entité autosubsistante ne se pose pas. La religion souligne que tout ce qui est impermanent est inévitablement duḤkha (souffrance) et hors de notre contrôle (ānatman), et ne peut donc constituer un soi ultime.

Selon le bouddhisme, les êtres et les objets inanimés du monde sont constitués (saṃskṛta), à la différence du nirvĀṆa, qui est inconstitué (asaṃskṛta). Les éléments constitués sont constitués des cinq skandha (agrégats) ou blocs de construction de l’existence : le corps physique (rūpa), la sensation physique (vedanā), la perception sensorielle (saṃjñā, saññā), les tendances habituelles (saṃskāra, saṃkhāra) et la conscience (vijñāna, viññāna). Les quatre derniers de ces skandhas sont également connus collectivement sous le nom de nāma (nom), qui désigne les constituants non matériels ou mentaux d’un être. Rūpa représente uniquement la matérialité, et les objets inanimés sont donc inclus dans le terme rūpa. Un être vivant composé de cinq skandhas est dans un état de flux continu, chaque groupe de skandhas précédent donnant naissance à un groupe de skandhas suivant. Ce processus se déroule momentanément et sans cesse dans l’existence présente comme il se poursuivra également dans le futur jusqu’à l’éradication de l’avidyā (ignorance) et l’atteinte du nirvāṇa. Ainsi, l’analyse bouddhique de la nature de la personne est centrée sur la réalisation que ce qui semble être un individu est, en fait, une combinaison toujours changeante des cinq skandhas. Ces agrégats se combinent dans diverses configurations pour former ce qui est vécu comme une personne, tout comme un char est construit de diverses parties. Mais tout comme le char en tant qu’entité disparaît lorsque ses éléments constitutifs sont séparés, la personne disparaît avec la dissolution des skandhas. Ainsi, ce que nous considérons comme une personne n’est pas une chose mais un processus ; il n’y a pas d’être humain, il n’y a que du devenir. À la question de savoir qui, en l’absence d’un soi, éprouve des sentiments ou d’autres sensations, le Bouddha a répondu que cette question était mal formulée : La question n’est pas « qui ressent », mais « avec quoi comme condition la sensation se produit-elle ? ». La réponse est le contact, démontrant à nouveau la nature conditionnée de toute expérience et l’absence de tout substrat permanent de l’être.

De même que l’être humain est analysé dans ses composantes, le monde extérieur avec lequel on interagit l’est aussi. Cette interaction est celle de la conscience (vijñāna) établie à travers les facultés cognitives (indriya) et leurs objets. Ces facultés et leurs objets, appelés sphères (āyatana), comprennent à la fois le sens et l’objet-sens, dont la rencontre est nécessaire à la conscience. Ces trois facteurs qui, ensemble, constituent la cognition – la faculté des sens, l’objet des sens et la conscience qui en résulte – sont classés sous le nom de dhātu (élément). La personnalité humaine, y compris le monde extérieur avec lequel elle interagit, est donc divisée en skandha, āyatana et dhātu. Le nom générique de ces trois éléments est dharma, que l’on traduit dans ce contexte par « éléments de l’existence. » L’univers est constitué d’un faisceau d’éléments ou de forces (saṃskāras) et se trouve dans un flux ou un écoulement continu (santāna). Chaque dharma, bien qu’il n’apparaisse que pour un seul instant (kṢaṇa), est un « élément originaire dépendant », c’est-à-dire qu’il dépend pour son origine de ce qui l’avait précédé. Ainsi, l’existence devient une  » existence dépendante « , où il n’y a pas destruction d’une chose et création d’une autre. S’inscrivant dans ce schéma, l’individu est entièrement phénoménal, régi par les lois de la causalité et dépourvu de tout soi extraphénoménal en lui.

En l’absence d’un ātman, on peut se demander comment le bouddhisme rend compte de l’existence des êtres humains, de leur identité, de leur continuité, et finalement de leurs objectifs religieux. Au niveau de la « vérité conventionnelle » (saṃvṛtisatya), le bouddhisme accepte que dans le monde transactionnel quotidien, les humains puissent être nommés et reconnus comme des personnes plus ou moins stables. Cependant, au niveau de la « vérité ultime » (paramārthasatya), cette unité et cette stabilité de la personne ne sont qu’une construction basée sur les sens de notre imagination productive. Ce que le Bouddha encourage n’est pas l’annihilation du sentiment du moi, mais l’élimination de la croyance en un « fantôme dans la machine » permanent et éternel. » Ainsi, l’être humain dans le bouddhisme est une créature concrète, vivante, qui s’efforce, et sa personnalité est quelque chose qui change, évolue et grandit. C’est l’humain concret, et non le soi transcendantal, qui atteint finalement la perfection par un effort constant et une volonté créatrice.

La doctrine bouddhiste de la renaissance est différente de la théorie de la réincarnation, qui implique la transmigration d’un ātman et sa re-naissance matérielle invariable. De même que le processus d’une durée de vie est possible sans qu’une entité permanente passe d’un moment de pensée à un autre, de même une série de processus de vie est possible sans que rien ne transmigre d’une existence à une autre. Au cours de son existence, un individu accumule toujours un nouveau karma (action) qui affecte chaque moment de sa vie. À la mort, le changement n’est que comparativement plus profond. Le lien corporel, qui maintenait l’individu ensemble, tombe et son nouveau corps, déterminé par le karma, devient un corps adapté à cette nouvelle sphère dans laquelle l’individu renaît. Le dernier moment de pensée de cette vie périt, conditionnant un autre moment de pensée dans une vie ultérieure. Le nouvel être n’est ni absolument le même, puisqu’il a changé, ni totalement différent, étant le même courant (santāna) d’énergie karmique. Il y a simplement une continuité d’un flux de vie particulier ; juste cela et rien de plus. Les bouddhistes emploient diverses simulations pour expliquer cette idée que rien ne transmigre d’une vie à l’autre. Par exemple, on dit que la renaissance est comme la transmission d’une flamme d’une chose à une autre : La première flamme n’est pas identique à la dernière, mais elles sont clairement liées. La flamme de la vie est continue, bien qu’il y ait une rupture apparente à la soi-disant mort. Comme le souligne le Milindapaha (Les questions de Milinda), « Ce n’est pas le même esprit et le même corps qui naissent dans l’existence suivante, mais avec cet esprit et ce corps… on fait un acte… et en raison de cet acte, un autre esprit et un autre corps naissent dans l’existence suivante ». Le premier moment de la nouvelle vie est appelé conscience (vijñāna) ; ses antécédents sont les saṃskāras, les forces prénatales. Il y a une « descente » de la conscience dans le ventre de la mère préparatoire à la renaissance, mais cette descente n’est qu’une expression pour désigner la simultanéité de la mort et de la renaissance. Ainsi, les éléments qui constituent l’individu empirique changent constamment, mais ils ne disparaîtront jamais totalement jusqu’à ce que les causes et les conditions qui les maintiennent ensemble et les poussent à la renaissance, le désir ardent (tṘṢṇā ; Pāli, taṇhā), le fort attachement (upādāna) et le désir de réexistence (bhava), soient finalement éteints.

Voir aussi:Conscience, théories de ; Dharma et Dharmas ; États intermédiaires

Bibliographie

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K. T. S. Sarao

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