Dysplasie buccale et risque d’évolution vers le cancer

La dysplasie buccale est détectée par les cliniciens sous la forme d’une leucoplasie, une tache blanche dans la cavité buccale qui ne peut être diagnostiquée comme un autre trouble connu. Ces lésions comportent un risque accru d’évolution maligne vers un carcinome spinocellulaire oral. Le diagnostic précoce, le traitement et la surveillance de ces lésions précancéreuses sont des facteurs prédictifs importants pour prévenir la progression vers un cancer de la bouche ; cette méta-analyse est donc très pertinente.

Le but de ce travail était d’informer une politique de gestion et de surveillance des lésions dysplasiques buccales basée sur des preuves. Les auteurs ont évalué le risque et l’intervalle de progression vers le cancer chez les patients diagnostiqués avec une dysplasie orale. Il s’agit d’un domaine de la pratique clinique qui démontre une variabilité et qui manque de preuves de haute qualité.

L’examen avait des critères d’inclusion et d’exclusion rigoureux. 14 études prospectives et rétrospectives ont été identifiées. Les données ont été sous-catégorisées par grade histologique de la lésion et par stratégie de gestion. Les risques relatifs de transformation maligne pour le sexe, le site de la lésion, la poursuite du tabagisme et de la consommation d’alcool après le diagnostic ont également été extraits, lorsqu’ils étaient disponibles.

Les résultats ont montré que la dysplasie buccale comporte un taux significatif de transformation en cancer (12,1%). En outre, l’excision chirurgicale a diminué de plus de la moitié le risque de transformation, mais ne l’a pas éliminé. L’analyse des sous-groupes en fonction du grade de dysplasie et de la modalité de traitement n’a montré aucune différence significative dans le TMT. Cela peut être dû à la disponibilité limitée des données.

Les informations étaient insuffisantes dans les études incluses pour évaluer l’effet des facteurs de risque cliniques sur la progression vers la malignité. Néanmoins, la progression vers la malignité semblait être associée aux lésions de la langue (risque relatif =1,87 ; IC : 1,11, 3,17). L’examen a montré que la consommation continue de tabac et d’alcool après le diagnostic n’avait aucun effet sur la transformation maligne. Il est probable que ce résultat soit dû au nombre limité d’études contenant des informations sur le tabagisme et la consommation d’alcool et à l’hétérogénéité signalée entre les deux études contenant des données sur le tabagisme. De plus, bien que la dysplasie buccale soit peu fréquente chez les non-consommateurs de tabac et d’alcool, une étude de Jaber1 a révélé que la dysplasie buccale peut se développer chez des personnes n’ayant jamais consommé de tabac ou d’alcool, ce qui suggère que des facteurs de risque autres que l’alcool et le tabac peuvent exister.

Ce travail a également révélé que le sexe est un facteur de risque de dysplasie buccale, les femmes présentant un risque plus élevé que les hommes. Bien que cette constatation ne soit pas statistiquement significative, elle est conforme aux résultats d’autres études.1, 2 Lan et ses collègues2 ont signalé que le risque de dysplasie légère-modérée et sévère était respectivement 2,40 et 3,11 fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Ils ont également signalé que la transformation maligne de la leucoplasie orale est corrélée au type clinique et aux symptômes. Ainsi, le risque de dysplasie sévère et de cancer buccal de la leucoplasie mouchetée (4,50 fois), ulcéreuse (5,63 fois), verruqueuse (4,09 fois) était beaucoup plus élevé que celui de la leucoplasie homogène. De plus, le risque de dysplasie sévère et de cancer buccal dans les leucoplasies avec symptômes était 4,38 fois plus élevé que sans symptômes.2

Les résultats de cette méta-analyse doivent être interprétés avec prudence en raison du faible nombre d’études incluses, de leur qualité limitée et de leur hétérogénéité en termes de conception, de critères d’inclusion, de population de patients, de traitement, de durée de suivi et d’analyse des facteurs de risque des patients. En outre, l’examen systématique a révélé un manque évident d’essais contrôlés randomisés examinant différents protocoles de gestion chirurgicale et de suivi. La méta-analyse a utilisé des données publiées plutôt que des données originales sur les patients, car de nombreuses études ont été menées dans les années 1970 et 1980. En raison de ces limites, les travaux n’ont pas permis de vérifier que les lésions dysplasiques de grade supérieur se transforment plus tôt. De plus, ces limites ont empêché la réalisation d’analyses de sous-groupes, notamment pour le TMT et les facteurs de risque cliniques. Malgré cela, les auteurs ont réussi à combiner les données disponibles relativement rares pour fournir une meilleure compréhension de la pathologie de la dysplasie orale.

En conséquence, davantage de recherches sont nécessaires dans ce domaine. Compte tenu du mauvais pronostic associé à la leucoplasie orale et des difficultés à la distinguer des lésions cancéreuses, il est urgent d’explorer les déterminants moléculaires et les voies de signalisation critiques qui sous-tendent la transformation maligne des tissus précancéreux en tissus cancéreux. Des marqueurs précis permettraient de cibler ces lésions pour un traitement plus agressif et un suivi plus étroit. Smith et al. ont signalé que la survivine, la MMP 9 et la teneur en ADN étaient des marqueurs potentiels du risque accru de progression de la dysplasie buccale vers le cancer.3 En outre, une étude de Gouvêa et de ses collègues portant sur la leucoplasie verruqueuse proliférative, un type distinct et agressif de leucoplasie buccale, a observé qu’une forte immunoexpression de Mcm-2 et Mcm-5 dans les dysplasies légères et modérées pouvait être utile pour prédire la transformation maligne.4 Malgré ces résultats, les marqueurs tumoraux n’ont jusqu’à présent gagné aucune utilisation dans le diagnostic de routine et leur utilité dans la prédiction du risque de transformation maligne reste inconnue.

Dans le cas de patients atteints de leucoplasie orale avec une infection candidale, Cao et al. ont rapporté que l’infection candidale peut être l’un des facteurs les plus importants pour induire la dysplasie orale et la transformation maligne de la leucoplasie orale. Par conséquent, des cultures de salive devraient être effectuées pour les patients atteints de leucoplasie orale afin de tester les infections candidales.5

À ce jour, il n’existe aucune preuve de traitement efficace pour prévenir la transformation maligne de la leucoplasie. Les traitements chirurgicaux peuvent être efficaces dans la résolution des lésions : cependant, les rechutes et les effets indésirables sont fréquents. Ceux-ci incluent la perte de fonction, une morbidité accrue et le besoin éventuel de procédures de reconstruction. Des recherches futures sont nécessaires pour identifier des traitements moins invasifs et plus efficaces. Un rapport de cas de Huff et al. a décrit une nouvelle approche de la gestion de la dysplasie buccale légère en utilisant la cryothérapie à l’azote liquide.6 Il convient toutefois de noter que l’efficacité éventuelle d’interventions moins invasives telles que le traitement au laser et la cryothérapie doit encore être étudiée au moyen d’un essai contrôlé randomisé. En attendant, les patients atteints de leucoplasie buccale ont besoin d’une surveillance continue, surtout dans le cas de lésions dysplasiques de haut grade, même après une excision chirurgicale.

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