Embolie aérienne accidentelle

Présentation du cas

Une femme droitière de 81 ans, dont les antécédents médicaux sont significatifs d’une maladie coronarienne, d’une hypertension et d’une tachycardie supraventriculaire paroxystique, s’est présentée initialement aux urgences après avoir chuté chez elle. La patiente a nié tout symptôme prodromique précédant la chute. Elle a nié avoir perdu connaissance et n’était pas sûre qu’il y ait eu un impact sur la tête. Lors de la présentation, elle était alerte et ne présentait pas de déficits neurologiques. Sa tension artérielle était de 126/91 et sa fréquence cardiaque de 100. On lui a posé un cathéter intraveineux périphérique et on a commencé à lui administrer un bolus de solution saline normale. Son fils se souvient qu’elle était en position assise au moment de la pose de l’accès intraveineux. Dans la minute qui a suivi l’insertion de la ligne et l’introduction du liquide, elle a soudainement développé un regard vide avec la tête tournée vers la gauche. Cela a été suivi d’une élévation et d’une flexion toniques de son bras droit au-dessus de sa tête avec une extension vers l’extérieur du bras gauche. Les symptômes ont duré 2 à 3 minutes, suivis d’une période prolongée de confusion. Comme on craignait une crise, on lui a donné 2 mg de lorazépam et on l’a chargée de 1500 mg de levetiracetam. Peu après, elle a développé une insuffisance respiratoire hypoxique et a dû être intubée. Une tomographie crânienne émergente non contrastée a été réalisée, qui a montré la présence d’air dans les sillons pariéto-occipitaux droits, ainsi que dans la fissure sylvienne (Figure 1A et 1B). Le calvarium était intact, sans fractures. Elle a été transférée dans notre hôpital tertiaire pour des soins supplémentaires. L’ECG au moment du transfert n’a pas montré de changements inquiétants. Une nouvelle tomographie crânienne effectuée 5 heures après la crise initiale a montré un effacement sulculaire et une résolution des emboles aériens dans la région pariéto-occipitale droite (Figure 1C et 1D). Une autre tomographie crânienne 18 heures plus tard a montré des hypodensités dans les lobes occipital et temporal droits. L’imagerie par résonance magnétique du cerveau a confirmé l’infarctus aigu (figure 2). L’angiographie par résonance magnétique n’a pas montré d’athérosclérose intracrânienne ni de sténose significative dans le système carotidien ou vertébrobasilaire. L’électroencéphalogramme vidéo a montré un état épileptique pariéto-temporal droit, et le levetiracetam a été augmenté de 500 mg deux fois par jour à 1000 mg deux fois par jour. Le lendemain, son échocardiogramme transthoracique a révélé une légère élévation de la pression systolique du ventricule droit. Elle n’a pas mis en évidence de shunt intracardiaque. Cependant, un rapport antérieur d’échocardiographie transthoracique suggérait la présence d’un petit foramen ovale patent. L’état clinique de la patiente s’est amélioré en l’espace d’une semaine, une fois ses crises maîtrisées. Son état respiratoire s’est stabilisé et elle a été extubée après quelques jours. Au moment de sa sortie dans un établissement de réadaptation aiguë, elle présentait une hémianopsie homonyme gauche résiduelle et une légère faiblesse du membre supérieur gauche. Les déficits ont persisté lors du réexamen 2 mois après la sortie.

Figure 1. Embolie aérienne : Une tomodensitométrie (TDM) non contrastée de la tête effectuée immédiatement après la pose d’une ligne intraveineuse et l’apparition aiguë de la crise a montré la présence d’air dans les sillons pariéto-occipitaux droits, ainsi que dans la fissure sylvienne (A, flèche et B, cercle). Un nouveau scanner crânien 5 heures après l’apparition des symptômes a montré un effacement des sillons et la disparition des emboles aériens dans la région pariéto-occipitale droite (C et D). Les images ont été fenêtrées pour mieux montrer l’air.

Figure 2. Les séquences d’imagerie pondérée en diffusion du cerveau par résonance magnétique sans contraste 22 h après l’apparition des symptômes ont montré une restriction de diffusion dans les lobes occipital et temporal droits (A et B).

Pathophysiologie de l’embolie aérienne cérébrale

Plusieurs mécanismes existent pour que l’air pénètre dans le système vasculaire. L’air peut pénétrer directement dans le lit artériel, généralement à partir du thorax ou d’un traumatisme abdominal, ou être introduit de manière iatrogène lors de procédures médicales. Les emboles veineux peuvent également pénétrer dans le système artériel par le biais de shunts intracardiaques (par exemple, foramen ovale persistant ou communication interauriculaire) ou de shunts intrapulmonaires (par exemple, malformation/fistule artério-veineuse). Dans de rares cas, les emboles aériens veineux peuvent atteindre le système artériel par filtration incomplète par les capillaires pulmonaires.1 De nombreuses procédures peuvent entraîner une embolie aérienne veineuse. Il s’agit par exemple de la pose d’un cathéter central, d’un cathéter d’hémodialyse, de l’injection intraveineuse d’un produit de contraste, de la pose d’un stimulateur cardiaque/défibrillateur ou de l’ablation cardiaque par radiofréquence. Dans de rares cas, la pose d’un cathéter intraveineux périphérique peut être la cause de l’accident, comme l’illustre le cas décrit ci-dessus. Il est important de noter que les patients sont également susceptibles d’entrer dans l’air veineux pendant le retrait du cathéter/de la ligne intraveineuse. L’embolie gazeuse veineuse peut se former au cours d’interventions neurochirurgicales et oto-rhino-laryngologiques, en particulier chez les patients placés en position de Fowler, c’est-à-dire assis à demi-droite pendant les interventions chirurgicales.2 L’embolie gazeuse peut également se produire lors d’interventions endoscopiques, comme l’endoscopie gastro-intestinale supérieure, ce qui serait dû à l’insufflation excessive d’air nécessaire pendant l’endoscopie, entraînant un barotraumatisme des artères et des veines.3 La biopsie pulmonaire percutanée est également une autre cause signalée d’embolie gazeuse. Il est intéressant de noter que si l’étude des bulles agitées pendant l’échocardiographie transthoracique peut aider à détecter les shunts droite-gauche, elle peut également être une source d’embolie gazeuse.4

Le barotraumatisme causé par une pression positive excessive des voies aériennes chez les patients ventilés peut entraîner une entrée d’air artériel ou veineux. Le syndrome de décompression des plongeurs en eaux profondes peut également entraîner une embolie gazeuse. La pression ambiante est linéaire par rapport à la profondeur d’immersion. L’air inhalé en haute mer est à une pression beaucoup plus élevée que la pression de surface. Lors d’une remontée rapide sans effectuer les paliers de décompression nécessaires, l’air peut se dilater rapidement entraînant un barotraumatisme dans les tissus corporels non distensibles (tels que l’oreille moyenne et les sinus) et les tissus corporels distensibles (tels que l’intestin et les poumons).1

Lorsque les bulles d’air pénètrent dans le système artériel, elles peuvent causer des lésions soit par occlusion des vaisseaux artériels provoquant un infarctus ischémique, soit par l’intermédiaire d’une lésion endothéliale directe entraînant la libération de médiateurs inflammatoires, l’activation de la cascade du complément et la formation de thrombus in situ, exacerbant ainsi l’ischémie.

Une propriété unique et importante de l’air qui diffère de celle d’un embole de masse solide est sa capacité à se déplacer de manière rétrograde dans le sens inverse de la circulation sanguine. Ceci est le résultat de l’ascension des bulles de gaz dans le sang en raison de leur gravité spécifique plus faible (figure 3). Dans la plupart des cas, la pression circulatoire est supérieure à la pression atmosphérique et l’air ne pénètre pas dans la circulation sanguine. Cependant, dans les veines situées au-dessus du niveau du cœur, la pression atmosphérique peut être plus élevée. Cela permet à l’air de pénétrer dans la circulation sanguine et de s’élever contre la gravité, provoquant une occlusion veineuse cérébrale et un infarctus qui ne suit pas les distributions définies par les territoires artériels typiques.5,6 C’est en raison de cette tendance à l’élévation antigravitationnelle de l’air que les patients doivent être placés en position de Trendelenburg (tête en bas) lors de la pose/du retrait des cathéters centraux des veines sous-clavières et jugulaires. Le mouvement rétrograde dans le système veineux explique probablement pourquoi le patient rapporté ci-dessus avait un infarctus couvrant à la fois les artères cérébrales moyennes et postérieures droites malgré l’absence d’un shunt droit-gauche assez important.

Figure 3. Emboles d’air : Les emboles d’air peuvent se déplacer de manière rétrograde contre le flux sanguin, comme le montre la figure. Une supplémentation en oxygène à cent pour cent/oxygène hyperbare est recommandée car l’oxygène est 34× plus soluble que l’azote dans le sang. L’oxygène saturé dans le sang aide à déplacer l’azote dans les emboles aériens et conduit à la résolution des bulles d’air.

Présentations de l’embolie aérienne cérébrale

L’embolie aérienne vasculaire se manifeste principalement par des séquelles cardiovasculaires, pulmonaires et neurologiques.7 Les symptômes neurologiques courants comprennent une altération de l’état mental, un coma, ainsi que des déficits focaux et des convulsions semblables à ceux d’un accident vasculaire cérébral. Ces symptômes peuvent être secondaires à un collapsus cardiovasculaire dû à une réduction du débit cardiaque et à une hypoperfusion cérébrale consécutive ou à une occlusion directe de l’artère ou de la veine cérébrale par les bulles d’air. L’embolie aérienne cérébrale doit être suspectée lorsqu’un patient développe de manière aiguë des déficits neurologiques à la suite d’un événement qui pourrait permettre à l’air de pénétrer dans le système circulatoire, comme mentionné ci-dessus.

Gestion aiguë et prévention de l’embolie aérienne cérébrale

Le traitement immédiat de l’embolie aérienne cérébrale consiste à identifier la source d’entrée de l’air, qui doit être retirée immédiatement. Le patient doit être positionné en position tête en bas/Trendelenburg et décubitus latéral gauche (position de Durant). Cette position vise à piéger l’air dans l’oreillette et le ventricule droits, minimisant ainsi l’entrée d’emboles d’air dans la voie de sortie du ventricule droit et l’artère pulmonaire. Cette manœuvre permet non seulement d’empêcher le flux céphalique des emboles, mais aussi de maintenir le sang dans le ventricule gauche à l’écart des ostia coronaires, prévenant ainsi l’infarctus du myocarde. Il faut commencer à administrer de l’oxygène à haut débit pour minimiser l’ischémie et accélérer la réduction de la taille des bulles d’air. Lorsqu’elle est disponible, l’oxygénation hyperbare doit être proposée. Par rapport à l’air ambiant, qui contient 79 % d’azote et de protoxyde d’azote dans le gaz anesthésique, une oxygénation à 100 % est recommandée car l’oxygène est 34 fois plus soluble que l’azote dans le sang. L’oxygène saturé dans le sang aide à déplacer l’azote dans les emboles aériens (Figure 3). La pression plus élevée fournie par la chambre hyperbare augmente encore la solubilité des gaz dans le plasma.8 Une réanimation cardio-pulmonaire peut être nécessaire en fonction de la gravité des symptômes du patient. Le cas échéant, on peut tenter d’aspirer et d’éliminer directement les bulles d’air par les cathéters veineux centraux disponibles.9

En définitive, l’embolie gazeuse cérébrale est souvent une affection iatrogène et évitable. Les patients doivent être correctement positionnés pendant la pose et le retrait des cathéters invasifs. En outre, il faut leur apprendre à effectuer la manœuvre de Valsalva pendant le retrait de la ligne. Même lors de la mise en place de perfusions intraveineuses et de perfusions de liquides de routine, comme dans le cas de notre patient, il faut veiller à éviter l’entrée accidentelle d’air dans la circulation. Une surveillance par échocardiogramme transthoracique ou transœsophagien pour détecter une embolie aérienne veineuse doit être effectuée dans les cas chirurgicaux présentant un risque élevé de développer une embolie aérienne cérébrale. Dans ces procédures à haut risque, les anesthésiques contenant du protoxyde d’azote doivent également être évités car ils peuvent potentialiser le développement d’embolies aériennes. Chez les patients ventilés mécaniquement, la pression positive des voies aériennes doit être minimisée de manière appropriée afin de prévenir le barotraumatisme pulmonaire.

Prognostic de l’embolie aérienne cérébrale

Alors que la mortalité et la morbidité de l’embolie aérienne cérébrale étaient rapportées chez 80 à 90% des patients dans le passé, des séries de cas récentes ont démontré des taux significativement plus faibles avec une reconnaissance précoce et la disponibilité d’options de traitement. Une série de cas publiée en 2010 a révélé que les patients souffrant d’embolie aérienne cérébrale et traités par oxygénation hyperbare présentaient un taux de mortalité à un an d’environ 21 %. Quarante-trois pour cent des patients présentaient des déficits neurologiques résiduels au moment de leur sortie de l’unité de soins intensifs. Ces déficits comprennent une restriction du champ visuel (16 %), un état végétatif persistant (9 %), des déficits moteurs focaux (7 %), des problèmes cognitifs (7 %) et des crises d’épilepsie (4 %). Après 6 mois, 75 % des survivants présentaient un handicap léger ou nul.10

POINTS DE RETOUR

  • L’apparition rapide de symptômes neurologiques après une procédure invasive, en particulier la pose/le retrait d’un cathéter, doit faire suspecter une embolie aérienne cérébrale.

  • La présence d’air intracérébral peut être très transitoire à l’imagerie cérébrale. L’absence de preuve à l’imagerie ne doit pas retarder la prise en charge médicale si la présentation clinique correspond aux séquelles d’une potentielle embolie aérienne cérébrale.

  • Le traitement de l’embolie d’air cérébral consiste en un positionnement approprié pour piéger les emboles d’air et prévenir une nouvelle embolisation, ainsi que potentiellement l’utilisation d’oxygène hyperbare pour aider à la résolution plus rapide des bulles d’air.

  • L’embolie d’air cérébral est le plus souvent iatrogène et évitable avec des précautions, des techniques et une surveillance étroite appropriées. Elle peut être associée à une mortalité élevée. Cependant, si elle est reconnue rapidement et traitée de manière appropriée, un pourcentage élevé de patients peut se rétablir avec un handicap léger ou nul.

Disclosions

Aucune.

Notes de bas de page

Correspondance à Wei Xiong, MD, Institut neurologique, Hôpitaux universitaires/Cleveland Medical Center, 11100 Euclid Ave, Cleveland, OH 44106. Email wei.org
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