La querelle

La querelle est le sujet des tout premiers mots de la pièce. Le Prologue dit :  » Deux ménages, tous deux semblables en dignité, / Dans la belle Vérone, où nous posons notre scène, / D’anciennes rancunes se brisent en de nouvelles mutineries, / Où le sang civil rend impures les mains civiles  » (Prologue 1-4). Le mot clé est « civil », et l’expression « sang civil » est un paradoxe. Les citoyens d’une ville devraient être civils, c’est-à-dire qu’ils devraient faire preuve de respect les uns envers les autres et s’entendre. Mais trop souvent, ils ne le sont pas. Ils s’engagent dans des guerres civiles et versent du « sang civil », ce qui n’arriverait pas s’ils étaient vraiment civils. Cette situation paradoxale existe dans la « belle Vérone », mais la phrase suivante « où nous posons notre scène » implique qu’elle pourrait se produire n’importe où. Pourquoi ? Pas parce qu’un côté a raison et l’autre tort. Les ménages sont « de même dignité », et la « rancune » n’appartient pas seulement à l’un ou à l’autre. Elle est « ancienne », au-delà de la mémoire. Et, comme les deux parties partagent la rancune, elles partagent aussi la culpabilité. Les deux camps se mutinent contre la paix de la ville, rendant leurs « mains civiles impures ».

Sampson, un serviteur de Capulet, veut prendre part à la querelle, mais seulement si ce n’est pas trop dangereux. Un prétendu dur à cuire, Sampson se vante auprès de Grégoire de ce qu’il va faire aux Montaigu, en disant :  » quand j’aurai combattu avec les hommes, je serai civilisé avec les servantes, et je leur couperai la tête  » (1.1.21-23). C’est l’idée que Sampson se fait d’une blague. Il se considère comme un mauvais garçon qui enfreint toutes les règles, et la seule façon d’être « civil » est de couper poliment la tête des femmes. Cependant, quelques instants plus tard, il montre qu’il n’est pas aussi sauvage qu’il le pense. Il fait un geste en direction d’un serviteur Montaigu, et l’homme lui demande s’il essaie d’être insultant. À ce moment-là, Sampson demande à Grégoire : « La loi est-elle de notre côté, si je dis oui ? » (1.1.47-48). Face au danger, Sampson le hors-la-loi veut être du bon côté de la loi.

La querelle crée de l’agitation à Vérone, agitation à laquelle le prince Escalus doit faire face. Lorsque le prince brise l’émeute de la première scène, il est enragé par la violation contre nature de l’ordre civique. Ses premiers mots sont :  » Sujets rebelles, ennemis de la paix, / Profanateurs de cet acier souillé par le voisin  » (1.1.81-82). L' »acier » – les épées utilisées par les combattants – devrait être consacré à la défense de la ville ; au lieu de cela, l’acier est profané par des citoyens qui le souillent du sang de leurs voisins. Malgré les paroles du prince, personne n’écoute et les épées volent toujours, il doit donc recommencer :

Quoi, ho ! vous hommes, vous bêtes
Qui éteignez le feu de votre rage pernicieuse
Avec des fontaines pourpres sortant de vos veines,
Sous peine de torture, de ces mains sanglantes
Jettez à terre vos armes malmenées,
Et écoutez la sentence de votre prince ému. (1.1.83-88)

Le prince est exaspéré par la bestialité de ses citoyens. « Pernicieux » signifie plus que « mauvais », il signifie durablement, progressivement mauvais. Leur « rage pernicieuse » est incontrôlable, et ils pensent qu’ils ne peuvent obtenir satisfaction qu’en faisant couler du sang, des « fontaines » de sang. Une fontaine, où les gens se rassemblent pour s’approvisionner en eau, est un symbole traditionnel de la source de vie, donc une fontaine de sang est une image d’horreur. Pour contrôler ses citoyens bestiaux, le prince doit les menacer de torture. La menace du prince est suivie de l’ordre de « jeter à terre vos armes malmenées ». Les armes sont « malmenées » dans le sens où elles sont en colère, c’est-à-dire utilisées par des hommes en colère. Elles sont également malmenées dans un autre sens. Les épées sont trempées (durcies) en étant chauffées puis rapidement refroidies dans l’eau froide ; ces épées sont trempées dans le sang de leurs voisins.

Enfin, le prince fait écouter tout le monde, mais il s’adresse surtout aux chefs de famille :  » Trois querelles civiles, nées d’une parole légère, / Par toi, vieux Capulet et Montaigu, / Ont trois fois troublé le calme de nos rues….  » (1.1.89-91). Ces bagarres ont empêché quiconque de vivre en paix. Elles ont « poussé les anciens citoyens de Vérone / A se défaire de leurs ornements funéraires, / A manier de vieux partisans, dans des mains aussi vieilles, / Chancrées par la paix, pour séparer votre haine chancreuse » (1.1.92-95). Un « ornement grave » d’un citoyen antique serait un bâton de fonction. La querelle Capulet-Montague a empêché les anciens citoyens de jouir du respect qu’ils avaient gagné. Au lieu de cela, ils ont dû prendre des armes de guerre (« partisans ») qui se sont rouillées (« cankered ») en temps de paix, afin de séparer (« part ») les deux camps et leur haine maligne (« cankered ») l’un pour l’autre.

Au début de la deuxième scène, Capulet est au milieu d’une phrase :  » Mais Montaigu est lié aussi bien que moi, / Par une peine semblable ; et il n’est pas difficile, je pense, / Pour des hommes aussi âgés que nous de maintenir la paix (1.2.1-3) « . Il semble qu’il vienne de rentrer de sa conférence avec le prince Escalus, et il en parle à Paris. Capulet et Montaigu ont été menacés des mêmes peines s’ils troublent la paix, et Capulet essaie maintenant de se convaincre qu’il ne devrait pas être trop difficile pour deux vieux hommes de maintenir la paix entre eux. À ce stade, il semble que la querelle pourrait simplement s’éteindre.

De tous les personnages de la pièce, c’est Tybalt qui prend la querelle le plus à cœur. Lorsqu’il reconnaît Roméo au festin de Capulet, il envoie chercher son épée, mais Capulet voit que Tybalt est en colère et empêche le festin de se transformer en combat. La discussion animée entre Capulet et Tybalt porte en grande partie sur les questions de respect et d’apparence.

Lorsqu’il reconnaît Roméo pour la première fois, Tybalt se demande comment Roméo ose « Venir ici, couvert d’un visage antique, / Pour fuir et mépriser notre solennité ? / Maintenant, par la souche et l’honneur de ma famille, / Le frapper de mort, je ne considère pas cela comme un péché  » (1.5.56-59). Cependant, lorsque Tybalt dit à Capulet que l’irrespect de Roméo doit être vengé, Capulet adopte un point de vue tout à fait différent en disant :  » Content toi, gentilhomme, laisse-le tranquille ; / Il le porte comme un gentilhomme corpulent  » (1.5.65-66).  » Corpulent  » ne signifie pas  » gros « , mais bien élevé, méritant le respect. Et lorsque Capulet appelle Tybalt « gentle coz », il demande à Tybalt d’être également bien élevé. Cela n’a pas beaucoup d’effet sur Tybalt, aussi Capulet l’adjure-t-il au nom du respect de lui-même et de l’occasion, en disant :  » C’est ma volonté, que si tu la respectes, / Fais preuve d’une belle présence et renonce à ces froncements de sourcils, / Une apparence peu avenante pour un festin  » (1.5.72-74). Cependant, Tybalt s’entête à défendre son point de vue, et Capulet a recours aux insultes, s’exclamant avec mépris :  » Tu vas provoquer une mutinerie parmi mes invités ! / Tu mettras le coq à l’âne ! tu seras l’homme ! » (1.5.80-81). Ainsi Tybalt, qui pensait se venger de l’irrespect perçu de Roméo, est contraint de reculer face à l’irrespect de Capulet.

Lorsque Roméo demande au frère Laurence de se marier avec Juliette, le frère réprimande Roméo pour être passé si rapidement de l’amour de Rosalind à celui de Juliette, mais il accepte de célébrer la cérémonie en disant :  » À un égard, je serai ton assistant ; / Car cette alliance peut s’avérer si heureuse, / Pour transformer la rancœur de vos ménages en amour pur  » (2.3.90-92). Il semble que le frère croit que la fin de la querelle est la chose la plus importante qui sortira du mariage.

Après que Tybalt l’ait poignardé, Mercutio dit : « Je suis blessé. / Un fléau pour vos deux maisons ! Je suis épuisé. / Est-il parti, et n’a-t-il rien ? (3.1.90-92).  » Sped  » signifie  » fait pour « , et Mercutio mourant se sent floué. Ni la maison des Capulet ni celle des Montaigu ne valent la peine de mourir pour elles, et Tybalt s’en est tiré sans une égratignure.

Après que Tybalt a tué Mercutio et que Roméo a tué Tybalt, le prince Escalus doit nettoyer le désordre moral. Montague et Lady Capulet ajoutent tous deux à ce désordre en exigeant que la loi soit de leur côté. Lady Capulet crie au prince :  » Je demande justice, et toi, prince, tu dois la rendre ; / Roméo a tué Tybalt, Roméo ne doit pas vivre  » (3.1.180-181). Le prince répond :  » Roméo l’a tué, il a tué Mercutio ; / Qui doit maintenant le prix de son cher sang ? « . (3.1.182-183). Puis Montaigu dit :  » Pas Roméo, prince, il était l’ami de Mercutio ; / Sa faute conclut à ce que la loi doit terminer, / La vie de Tybalt  » (3.1.184-186). Lady Capulet exige une vie pour une vie ; Montaigu dit que Roméo n’a fait que ce que la loi devrait faire, prendre une vie pour une vie. Aucun des deux ne voit la différence entre la justice et la vengeance, et la réponse du prince le montre clairement. Il exile Roméo et dit ensuite :  » J’ai un intérêt dans le déroulement de votre haine, / Mon sang saigne pour vos rudes bagarres ; / Mais je vous condamnerai à une amende si forte / Que vous vous repentirez tous de la perte du mien  » (3.1.188-191). Ce qu’il veut dire, c’est que puisque Mercutio est son parent, il peut demander à être vengé de la mort de Mercutio, mais en tant que prince, son rôle est de mettre fin à toutes les tueries et de rétablir l’ordre, et il punit donc tout le monde – Roméo par l’exil, les Capulet et les Montaigu par de lourdes amendes. S’il ne punit pas tout le monde, il ne fait pas son travail, car  » la pitié ne fait que tuer, en pardonnant à ceux qui tuent  » (3.1.197). Il veut dire que s’il accorde la pitié à un tueur, il donne la permission de tuer, et donc d’assassiner ceux qui seront tués ensuite.

Après avoir recueilli les témoignages de Frair Laurence, de Balthasar et du page de Paris, le prince Escalus dispose d’un exposé complet des faits concernant la mort de Roméo, Juliette et Paris. Le moment est venu pour lui de rendre son jugement. Il dit : « Capulet ! Montaigu ! / Voyez, quel fléau est posé sur votre haine, / Que le ciel trouve moyen de tuer vos joies d’amour  » (5.3.291-293). Le Prince ajoute :  » Et moi aussi, pour avoir cligné de l’œil à vos discordes / J’ai perdu deux parents : tous sont punis  » (5.3.294-295). Le Prince n’a pas exactement fait un clin d’œil à la querelle entre les Capulet et les Montaigu ; il les a menacés, leur a imposé des amendes et a tenté de trouver un équilibre, mais il estime qu’il aurait dû les punir plus lourdement. Mais voilà que le « ciel » leur inflige la pire des punitions, et cela fait son effet. Capulet offre sa main à Montague, Montague promet d’élever une statue en or de Juliette, et Capulet dit qu’il fera de même pour Roméo. La querelle est terminée.

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