Retraite

La RETRAITE peut être définie comme une période limitée d’isolement pendant laquelle un individu, seul ou au sein d’un petit groupe, se retire de la routine régulière de la vie quotidienne, généralement pour des raisons religieuses. Les retraites sont l’une des pratiques les plus courantes de la vie religieuse de presque tous les peuples, bien qu’elles soient souvent réservées à un type ou à une classe de personnes déterminés : ceux qui se préparent à l’initiation (par exemple, à la vie adulte d’un clan, à un groupe religieux ou à une fonction publique de nature religieuse), ceux qui suivent un processus de conversion, ceux qui sont à la recherche d’une vocation religieuse ou ceux qui cherchent un renouvellement périodique de leur vie spirituelle. Pendant cette période, les retraitants interrompent leur routine ordinaire, rompent avec leurs relations sociales régulières et (à l’exception de ceux qui vivent déjà dans des monastères ou autres) se retirent dans un lieu solitaire ou dans un bâtiment spécial prévu à cet effet. Cet isolement, ainsi que l’interruption des relations sociales et de la vie ordinaire, est adopté comme une condition permettant aux retraitants individuels d’entrer en eux-mêmes dans le silence, afin d’établir un contact avec la divinité ou avec le monde des esprits. Par conséquent, les retraites impliquent souvent l’utilisation de divers moyens ascétiques, tels que le jeûne, l’abstinence, la prière, la méditation et les techniques visant à induire un rêve révélateur, une transe ou une extase.

On peut distinguer différentes formes de retraite, et les participants peuvent s’engager dans des retraites à une fréquence variable. Une retraite accompagnant une conversion radicale de la vie ou le discernement d’une vocation peut être un événement rare, voire unique, dans la vie d’un individu ; tandis que celle visant à un renouvellement spirituel personnel peut être répétée périodiquement. Les retraites d’initiation peuvent suivre des procédures très diverses, selon le type d’initiation concerné. Ainsi, on peut distinguer les retraites d’initiation tribale ; les retraites de recherche d’un rêve révélateur ; les retraites d’initiaion chamanique ou monastique ; les retraites de conversion, de discernement et de renouveau.

Retraites d’initiation tribale

En termes génériques et quelque peu abstraits (car en réalité des formes de rituels assez différentes peuvent être impliquées), l’initiation à la vie d’une tribu consiste à séparer les candidats du noyau social auquel ils appartiennent en tant qu’enfants, en particulier de leur mère, et à les isoler dans une zone bien définie, protégée par des tabous rigides. Ils y sont placés sous la direction d’anciens choisis par la tribu. Les néophytes sont alors soumis à certaines disciplines strictes (jeûne, abstinence, tabous divers), sont instruits par les anciens de certaines vérités et croyances traditionnelles (éthique sociale et sexuelle, mythes et rituels, techniques de chasse, de pêche ou d’agriculture), et sont contraints de subir certaines épreuves plus ou moins douloureuses. À la fin de cette période d’initiation, après avoir passé certains rites libérateurs, les néophytes, ayant subi une profonde transformation, retournent dans la tribu à l’âge adulte. La signification symbolique de cette période d’isolement semble assez claire. Les cultures qui pratiquent ce type d’initiation la considèrent comme une mutation ou une transformation profonde de l’être humain : une sorte de mort et de renaissance. Désormais, tout ce qui constituait auparavant la vie de l’enfant doit être supprimé, notamment l’ancienne dépendance de l’enfant à l’égard de sa mère. L’adolescent, à travers cet isolement, entre dans le monde du sacré, du temps mythique, et est souvent enfermé dans une lutte avec une force mystérieuse, impliquant une certaine forme de souffrance corporelle (torture et, surtout, circoncision). Dans ce cas, la retraite est précisément le véhicule qui permet cette rupture et cette entrée.

Retraites de recherche d’un rêve révélateur

Un certain nombre de peuples, notamment les Indiens précolombiens, soumettaient leurs enfants et adolescents à une période d’isolement destinée à leur permettre d’entrer en contact avec l’esprit qui devait guider chacun d’eux tout au long de leur vie. Ce phénomène est particulièrement remarquable chez certains groupes canadiens, comme les Athapascans, qui soumettaient des enfants âgés de cinq ans seulement à ce test. La norme communément suivie consistait à retirer ces enfants ou adolescents de leur monde normal de relations, à les abandonner dans un lieu solitaire et à les soumettre à un jeûne strict jusqu’à ce que la faiblesse physique induise un état d’hallucination. La première image qui se présentait à l’enfant ou à l’adolescent était l’esprit qui l’accompagnerait et le protégerait jusqu’à la mort, une sorte de numen tutélaire qu’il invoquerait par la suite. Les Delaware et les Algonquins de la côte atlantique observaient à peu près la même procédure avec les filles et les garçons de douze ans, mais ils introduisaient le concept de la compassion des esprits, que les adolescents devaient invoquer pendant qu’ils pratiquaient leur jeûne total. Les esprits mettaient alors fin aux souffrances des initiés en se révélant à eux en rêve. Au bout d’un certain temps, les parents rendaient visite aux adolescents pour voir si l’expérience révélatrice avait eu lieu. Si tel était le cas, ils ramenaient leur progéniture dans la tribu, où ils étaient considérés comme les dépositaires d’une force sacrée (Walter Krickeberg et al, Die Religionen des Alten Amerika, Stuttgart, 1961 ; voir aussi J. Blumensohn, « The Fast among North American Indians », American Anthropology 35, 1933, pp. 451-469).

Retraites d’initiation chamanique

Mircea Eliade traite le chamanisme comme une expérience religieuse limite : une forme de mysticisme trouvant son origine dans une vocation éveillée par une crise que l’on retrouve dans de nombreuses religions (Shamanism : Archaic Techniqes of Ecstasy, rev. and enl. ed, New York, 1964). Ici, le chamanisme est pris dans son sens originel et strict, comme une expression caractéristique et primaire de la vie religieuse des peuples de l’Asie centrale du nord. Le chaman est un individu qui a été soudainement envahi par un esprit et qui, de ce fait, a reçu un don particulier. Les signes par lesquels cette possession se manifeste coïncident avec ce que l’esprit occidental appellerait des symptômes d’épilepsie ou, plus généralement, une forme de trouble nerveux. Celui qui reçoit un don aussi « dangereux » doit rester en contact permanent avec le monde des esprits, ce que le chaman fait en s’isolant. Souvent, le candidat est instruit par un vieux chaman, ou toute la tribu peut participer à l’initiation du chaman en contribuant à ses sacrifices rituels. Le futur chaman apprend les formules et les rites d’offrande nécessaires, puis se retire dans la nature afin d’apprendre les techniques d’extase en s’asseyant devant un feu et en répétant certaines formules. À la fin de la retraite du chaman, l’individu est consacré par un rite célébré par l’ancien chaman qui l’a instruit. De cette retraite, le nouveau chaman émerge doté de pouvoirs spéciaux, et peut désormais entrer en contact avec le monde des esprits, et la médiation du nouveau chaman devient ainsi importante pour la tribu.

Retraites d’initiation monastique

Parmi les quatre étapes exemplaires que la tradition hindoue distingue dans la vie d’une personne – la troisième, après celles d’étudiant et de père de famille, mais avant celle de saint errant – figure celle de l’individu qui se retire dans la solitude, dans la forêt, où il (désormais appelé vanaptrasthin ) s’engage à la méditation et à certaines pratiques d’ascèse. Cette retraite est le présage d’une maturité spirituelle et d’une irradiation éventuelle de la population environnante, par l’exemple et l’enseignement du vanaptrasthin. Comme il s’agit d’une longue période d’isolement, cette retraite peut être considérée comme une expérience de vie érémitique. De manière significative, dans l’histoire du monachisme occidental, Athanase, dans sa Vie d’Antoine, décrit comment son héros, après sa conversion, a d’abord subi une étape d’initiation de base sous la direction d’un ascète, après quoi il a subi une autre étape d’isolement dans une nécropole, suivie d’une troisième et décisive étape de clôture dans un château en ruine, où il est resté pendant vingt ans. À la fin de cette étape, Athanase raconte, en des termes qui rappellent les cultes à mystères, qu’Antoine  » sortit comme d’un sanctuaire, initié aux mystères et rempli de l’esprit divin  » (Vie d’Antoine 14). Enfin, après avoir reçu le don de la fécondité spirituelle, Antoine accepte quelques disciples, mais il reste avec eux dans la solitude. Les parallèles avec le monachisme hindou sont révélateurs : Dans les deux cas, il y a une retraite dans une solitude complète, qui prépare les individus à la pleine maturité spirituelle et leur confère un certain pouvoir irradiant. L’ascète hindou s’engage ensuite dans une vie itinérante et renonçante (saṃnyasa ), retournant dans la société sans en faire partie. L’anachorète chrétien devient un aîné – un père ou une mère religieux – et accepte des disciples, les instruisant dans la vie spirituelle.

Un phénomène similaire apparaît dans la vie d’autres saints chrétiens, qui ne se consacraient pas à la contemplation monastique mais plutôt à une activité intense parmi les gens. Ignace Loyola a passé presque une année entière, de mars 1522 à février 1523, à Manresa, où il s’est consacré à la prière (sept heures par jour), au jeûne et à l’abstinence. Il sort de cette expérience transformé et illuminé en esprit par des révélations de toutes sortes. Trois siècles plus tard, Antoine M. Claret (1807-1870) passa quelques mois à San Andrés del Pruit (Gérone, Espagne), consacré à la prière. Il sort de cette retraite puissamment consacré à la prédication itinérante. Dans les deux cas, la retraite a été une initiation à une expérience religieuse intense, accompagnée d’une irradiation apostolique. Il serait facile de citer de nombreux autres exemples de ce type.

Une autre sorte de retraite d’initiation monastique est représentée par le noviciat, période d’essai relativement longue avant l’incorporation dans une communauté religieuse. Pendant le noviciat, les candidats sont séparés des autres – même des membres professés de la communauté – et placés sous la direction d’un maître, qui les instruit et teste leur vocation. Le noviciat apparaît dans la tradition bouddhiste, où il est appelé upasaṃpadā (« but, arrivée »). Il a pour but de préparer les novices à entrer sur la voie du salut et se termine par une cérémonie d’onction (abhiṣeka ) qui les consacre. Dans le monachisme chrétien, une période initiale d’instruction et d’épreuve est née chez les anachorètes du IVe siècle. Il s’agissait d’une période assez longue, qui se terminait lorsque l’aîné responsable jugeait que le novice avait atteint la maturité requise et l’invitait à se retirer dans une solitude choisie. Dans les communautés monastiques, le noviciat a été réduit à une période d’un an. Actuellement, il dure de un à deux ans, selon la coutume. À l’origine, l’année de noviciat commençait par l’investiture du novice dans l’habit, alors qu’elle s’est ensuite terminée par son engagement dans la vie religieuse. Outre cette investiture, une autre caractéristique observée dans le passé était le changement de nom du novice, pour indiquer qu’un individu séculier était mort et qu’un religieux était né. La théologie chrétienne médiévale de la profession religieuse comme un second baptême renvoyait à cette idée d’une mort et d’une renaissance symboliques.

Retraites de renouveau spirituel

La pratique du retrait pendant une période relativement brève afin de se revitaliser spirituellement semble être attestée dans toutes les religions qui accordent une grande importance à l’expérience spirituelle de l’individu. La retraite dans les bois constitue l’une des étapes de la voie idéale de l’hindou. Même les maîtres retournent périodiquement dans la solitude de la forêt, afin de se rencontrer plus profondément. Mais c’est surtout dans l’islam et le christianisme que ce type de retraite a été le plus populaire.

Islam

La coutume de consacrer une période de temps à la prière et au jeûne (khalwah ), tout en se retirant des contacts sociaux et des occupations ordinaires, est amplement documentée dans le monde musulman bien plus tôt que dans la chrétienté. La source d’inspiration de cette pratique est le fait que, selon le Qurʾān, Dieu a donné la Loi à Moïse au terme d’une retraite de quarante jours (sūrah 7:142). Il est également dit qu’Adam reçut son souffle de vie seulement quarante jours après avoir été formé à partir de l’argile. Le Prophète lui-même a laissé un exemple, en allant fréquemment en retraite. Le grand mystique andalou Muḥammad ibn al-ʿArabī (m. 1240) raconte les révélations qu’il reçut lors d’une retraite qu’il fit très jeune à Séville (Al-futūḥāt al-makkīyah, Le Caire, ah 1329/1911 ce, vol. 1, p. 186). Ibn al-ʿArabī a également écrit un traité sur les conditions de la retraite, le Kitāb al-khalwah. Un siècle plus tard, l’Indien Sharaf al-Dīn Manērī (d. 1381) consacre l’une de ses Cent Lettres à expliquer l’origine et le but de la retraite. Un élément essentiel de celle-ci est le souvenir de Dieu, c’est-à-dire le sentiment de la présence de Dieu et l’invocation de son nom. En ravivant le sentiment de la présence divine, la retraite guérit et fortifie l’âme, et la dispose à poursuivre cette présence lorsque le retraitant retourne à la vie ordinaire.

Dans les ordres Ṣūfī, le supérieur d’une maison est obligé de faire périodiquement une retraite. Les novices, eux aussi, doivent faire une retraite, ordinairement de quarante jours. Cette expérience de quarante jours doit être faite dans un lieu solitaire ou, si l’on est membre d’une communauté, dans une cellule obscure. Le jeûne est essentiel à ce genre de retraite : Celui qui en fait l’expérience doit réduire considérablement sa consommation de nourriture tout au long de celle-ci, et s’abstenir complètement de manger pendant les trois derniers jours. La vie des mystiques Ṣūfī contient de nombreuses allusions à cette pratique (voir Javad Nurbakhsh, Masters of the Path, New York, 1980, p. 115, 117). Ibn al-ʿArabī raconte une retraite qu’il fit avec le maître Abū Zakarīyāʾ Yaḥyā ibn Ḥassān (Sufis of Andalusia, Berkeley, Calif, 1971, p. 138).

Christianisme

Dans le christianisme, surtout au cours des derniers siècles, ce type de retraite, visant au renouvellement spirituel de l’individu par la méditation, la prière et le silence, a atteint un haut niveau de développement. Une telle retraite est souvent faite sous la direction d’un maître, qui engage un dialogue périodique avec le retraitant individuel, ou bien délivre des instructions, lorsque la retraite est faite par un groupe.

Il est significatif que certaines histoires populaires de la retraite commencent par l’épisode raconté par l’évangéliste Marc (repris, avec des amplifications, dans les parallèles matthéen et lucanien), concernant le retrait de Jésus dans le désert de Judée après son baptême et la « descente » du Saint-Esprit sur lui. Le récit de Marc (Mc 1,12-13) est non seulement christologique dans son contenu, mais aussi exemplaire dans son intention. Après son baptême et son onction par l’Esprit, Jésus apparaît comme le nouvel Adam, vivant parmi les bêtes sauvages et assisté par des anges. Pendant cette période (les spécialistes débattent de l’existence de ce passage dans la tradition antérieure à Marc), Jésus est tenté par l’esprit du mal mais, contrairement au premier Adam, il surmonte la tentation (voir Vincent Taylor, The Gospel according to Mark, Londres, 1955, p. 162-164). En soi, l’épisode n’attribue pas ouvertement à Jésus l’intention de se consacrer spécialement aux exercices spirituels de la prière. Les récits de Matthieu (4:1-11) et de Luc (4:1-13) ajoutent que le séjour de Jésus dans le désert a duré quarante jours, et que la tentation est survenue à la fin de cette période.

Le récit du séjour de Jésus dans le désert ajoutait des implications spirituelles encore plus riches aux textes bibliques sur le passage du peuple hébreu dans le désert, avant son entrée en Canaan. Le désert devenait désormais le symbole d’une nouvelle attitude spirituelle. Origène, dans son commentaire sur l’Exode, parle de la nécessité de la retraite : Il faut quitter son environnement familier et se rendre dans un lieu libre des préoccupations du monde, un lieu de silence et de paix intérieure, où l’on peut apprendre la sagesse et parvenir à une connaissance profonde de la parole de Dieu (In Exodum Homiliae, Wilhelm Baehrens, éd, Leipzig, 1920, p. 167).

S’inspirant de l’exemple de Jésus, les églises chrétiennes ont rapidement établi une période de quarante jours consacrée au jeûne, à l’abstinence et à une plus grande prière, afin de préparer les fidèles à la célébration de la Pâque. Deux thèmes s’entremêlaient dans les sermons des Pères sur le Carême : celui de la participation aux combats et aux souffrances du Christ pendant sa passion comme préparation à la célébration de la Résurrection, et celui de la projection sur ce modèle du jeûne et des tentations de Jésus dans la solitude du désert de Judée. Sur ce modèle fondamental, ils superposaient parfois l’image de l’errance des Israélites dans le désert, avec toutes les épreuves et les tentations auxquelles ils étaient soumis (voir Léon le Grand, « Sermons sur le Carême », Patrologia Latina, vol. 54). Dans les discours aux laïcs, on ne leur demandait pas de faire une retraite (bien qu’on leur demande de prolonger leur prière), mais on les exhortait à la conversion, à la charité envers les pauvres et à la réconciliation avec les ennemis. Traditionnellement, il leur était également recommandé de renoncer aux distractions et aux divertissements.

L’auteur anonyme de la Règle du Maître (Italie centrale, vers 500) introduit trois chapitres sur l’observance du Carême par les moines, leur prescrivant de multiplier leurs prières et d’accomplir davantage d’actes de jeûne et d’abstinence (Règle du Maître, chapitres 51-53). Benoît (480-c. 547) réduit la règle du Carême à un seul chapitre, dans lequel il fait écho à Léon le Grand et à la Règle du Maître. Il y ajoute une recommandation aux moines de réciter davantage de prières individuelles et de restreindre leurs relations entre eux (Règle de saint Benoît, chap. 49). Le Carême tendait ainsi à devenir une sorte de retraite de quarante jours passée dans le silence, la prière, le jeûne et l’abstinence. À partir du Moyen Âge, les ordres monastiques ont commencé à interrompre tout contact, même épistolaire, avec les étrangers, pendant toute la durée du Carême. Ainsi, la retraite de carême était fondamentalement une retraite de renouvellement spirituel, dans laquelle l’individu retraitant revivait certains thèmes fondamentaux du christianisme, dérivés principalement de la passion du Christ, mais secondairement de son retrait et de son jeûne dans le désert.

Il convient à ce stade de s’enquérir de l’essor, dans les églises chrétiennes, de la pratique de la retraite proprement dite, c’est-à-dire de ce type de retrait priant pratiqué par une personne, seule ou au sein d’un petit groupe, pendant une certaine période courte. C’est précisément la célébration du Carême qui a suggéré les premiers pas dans cette direction. Vers la fin du IVe siècle et le début du Ve, Euthymius le Grand, un moine de Mélitène, adopta la coutume de se retirer pendant le Carême de chaque année et de se rendre au sommet d’une montagne, où il se livrait à la prière et au jeûne. Plus tard, il se rendit chaque année avec un ami dans le désert de Koutila (voir Cyrille de Scythopolis, Vie d’Euthymius, édité par E. Schwartz, in Texte und Untersuchungen, vol. 49, n° 2, Lipsia, 1939, pp. 3-85). Le séjour de Jésus dans le désert de Judée est donc devenu un modèle qui a été imité littéralement. Il est tout à fait possible – et même probable – que d’autres moines aient suivi la même norme, dans le but de pratiquer une vie érémitique plus stricte pendant le carême.

Enfin, un autre fait historique pourrait être considéré comme un précurseur de la retraite moderne. Les pèlerinages vers les sanctuaires, si fréquents à certaines périodes du Moyen Âge, impliquaient une rupture avec la situation normale de l’individu, un départ de sa ville et de sa famille, afin de visiter un lieu saint généralement éloigné (« to ferne halwes », comme le notait Chaucer dans son prologue aux Contes de Canterbury, se moquant des pèlerins anglais qui ne parvenaient pas à aller plus loin que Canterbury). La Palestine, les tombeaux des apôtres à Rome et Compostelle faisaient partie des objectifs les plus courants. La raison profonde de ces voyages était le désir de visiter un lieu sacré où la présence du surnaturel était plus perceptible, grâce à la présence soit des reliques d’un saint, soit d’une image sainte vénérable. Parfois, ces pèlerinages devenaient l’occasion d’un processus de conversion et de séparation du monde. Il est intéressant de noter, par exemple, que le noyau primitif des ermitages de la Vierge du XIIe siècle, au Mont Carmel (le futur ordre des Carmes), était constitué de personnes d’Europe occidentale qui s’étaient établies en Terre Sainte. Dans certains cas, le sanctuaire de pèlerinage était desservi par une communauté de moines qui tenaient une hôtellerie pour ceux qui souhaitaient passer une période limitée de prière et de silence à proximité. Ce fait est documenté en relation avec le sanctuaire et l’abbaye d’Einsiedeln, en Suisse, peut-être dès le XIIe siècle (Ludwig Raeber, Notre-Dame des Ermites, Einsiedeln, 1961), et, un peu plus tard, au sanctuaire et au monastère de Montserrat, en Espagne (Joan Segarra, Montserrat, Barcelone, 1961).

Mais la retraite telle qu’elle est communément connue au cours des derniers siècles trouve ses racines, à proprement parler, dans le mouvement spirituel appelé Devotio Moderna, initié par Gerhard Groote (1340-1384) dans les Pays-Bas, et dont le représentant le plus connu est Thomas à Kempis (vers 1380-1471). Groote, converti à une vie fervente en 1374, se retira un temps dans la chartreuse de Munnikhuizen, près d’Arnhem sur le Rhin. Les Frères de la Vie Commune et les auteurs de la Devotio Moderna popularisent leur forme de piété auprès du clergé séculier et des laïcs, en lui donnant une interprétation pratique et ascétique, bien adaptée aux horizons nettement individualistes de la spiritualité de l’Occident chrétien de leur époque. Vint ensuite le raffinement de différentes méthodes de méditation, et la compilation de divers manuels de méditation. Au début du XIVe siècle, le franciscain toscan Jean de Caulibus publia ses Méditations sur la vie du Christ ; Gérard de Zutphen (d. 1398), dans son De spiritualibus ascensionibus, proposa une méthode précise de méditations et d’examens, une procédure reprise plus tard par le chanoine régulier hollandais Jean Mombaer (d. 1501), le dernier maître de la Devotio Moderna, qui l’utilisa comme instrument de réforme dans les monastères des clercs réguliers en France. En 1500, l’abbé réformateur de Montserrat, Francisco Jiménez de Cisneros, imprima son Ejercitatorio de la vida espiritual, contenant une méthode précise de méditations, et un plan qui structurait les différentes méditations en quatre semaines successives. La technique développée à partir de la Devotio Moderna pouvait ainsi être utilisée dans une période réservée spécialement à la prière et à la méditation.

Cette technique a culminé dans les Exercices spirituels d’Ignace Loyola, le fondateur de la Compagnie de Jésus. Il s’agit d’un entrelacement méthodique de méditations, de contemplations et d’examens, plus ou moins développés, se déroulant sur quatre semaines et accompagnés d’une série de conseils et de règles. Il a d’abord esquissé la méthode lors de sa propre retraite à Manresa, puis l’a perfectionnée au fil des ans jusqu’à ce que la version définitive soit approuvée par le pape Paul III en 1548. Bien qu’il y ait des points de contact entre Ignace et certains de ses prédécesseurs (en particulier Jiménez de Cisneros, dont il semble avoir connu la méthode), il est tout à fait original de lier définitivement ces méditations à une retraite faite sous la direction d’un maître, dans le but fondamental de choisir un mode de vie approprié pour un plus grand service de Dieu – d’où les règles de discernement qui accompagnent les Exercices. À partir des premiers compagnons du fondateur, les jésuites ont continué à être formés aux Exercices d’Ignace.

Au XVIe siècle, les exercices de retraite selon la méthode ignatienne étaient déjà devenus populaires, bien qu’ils n’aient été pratiqués à l’époque que par les prêtres et les religieux, et non par les laïcs. Des maisons de retraite ont été créées afin de faciliter l’organisation de retraites pour ceux qui le souhaitaient. La première de ces maisons a été ouverte dans une villa de Sienne, en Italie, en 1538. Elle a été suivie par les maisons de retraite d’Alcala, en Espagne, en 1553, de Cologne, en Allemagne, en 1561, et de Louvain, en Belgique, en 1569. Au XVIIe siècle, cette pratique est adoptée par les principaux représentants de la spiritualité française. Vincent de Paul (mort en 1660) aurait dirigé les Exercices de plus de vingt mille personnes. Les Exercices, sous une forme quelque peu modifiée et raccourcie, commencèrent à être pratiqués par un grand nombre de laïcs. Une figure marquante de l’histoire des retraites fut l’Argentine María Antonia de San José de la Paz (1730-1799), qui organisa au cours de sa vie des retraites ignatiennes pour plus de cent mille personnes. Cependant, la retraite ignatienne a été progressivement convertie en une retraite de renouvellement spirituel car elle en est venue à être répétée périodiquement par des personnes qui avaient déjà choisi un type de vie chrétienne (sacerdotale, religieuse ou séculière) et ne cherchaient qu’à être revitalisées spirituellement par une retraite.

Les prêtres, les religieux et les séminaristes de l’église catholique romaine font couramment huit jours d’exercices spirituels par an. De nombreux membres du laïcat catholique suivent la même norme à l’heure actuelle. Certains font même périodiquement un mois d’exercices. On trouve donc des maisons de retraite dans tous les pays où l’Église catholique romaine est présente. En 1836, l’évêque de Viviers, en France, a approuvé la Congrégation des Sœurs de Notre-Dame du Cénacle, fondée par Marie Victoire Thérèse Couderc et par Jean-Pierre Étienne Terme. Initialement appelées Dames de la Retraite, les Sœurs ont promu la pratique des retraites parmi les laïcs. Elles ont des maisons de retraite en Angleterre (depuis 1888), et il en existe encore plus aux États-Unis, où elles sont arrivées en 1892. Une fin similaire est poursuivie par les Sœurs de retraite du Sacré-Cœur, fondées en 1678 à Quimper, en France, par Claude Thérèse de Kermeno. D’autres religieux et religieuses se consacrent au même apostolat. En France, vers la fin du XIXe siècle, l’Œuvre des Retraites de Persévérance est fondée, et bientôt le mouvement s’étend en Italie. Son but est de promouvoir des retraites annuelles et des journées mensuelles de recueillement parmi les laïcs, comme moyen de renouveler la vie chrétienne. Outre les formes de retraites mensuelles et annuelles de huit jours, où l’influence dominante est ignatienne, il existe des retraites de week-end pour les laïcs, qui suivent de nombreuses méthodes différentes : scripturaires, charismatiques, de guérison, et ainsi de suite. Aux États-Unis, la National Catholic Laymen’s Retreat Conference a été fondée en 1928. Une ligue de retraite fondée par les Sœurs du Cénacle est devenue, en 1936, le National Laywomen’s Retreat Movement.

Une forme particulière de retraite, à l’origine chez les catholiques, a été propagée par le mouvement connu sous le nom de Cursillos de Cristiandad, fondé par Mgr Hervás à Majorque en 1949, d’où il s’est répandu dans plusieurs autres pays. Un groupe de chrétiens, issus de presque tous les milieux, se retire pendant quelques jours consacrés à la réflexion communautaire, à la liturgie, au dialogue et à la réflexion privée. Ils examinent et partagent l’expérience de foi concrète de leur vie ordinaire. Le mouvement Cursillos, qui existe depuis quelques années aux États-Unis, est organisé aux niveaux national et diocésain, et a été, dans une certaine mesure, pratiqué par d’autres groupes chrétiens, principalement les luthériens et les épiscopaliens.

Enfin, il convient de mentionner la retraite mensuelle ou journée de récollection. Pratiquée principalement par les religieux et les prêtres au XIXe siècle, elle est devenue presque obligatoire après que Pie X l’ait recommandée dans son exhortation au clergé catholique en 1908. Le concile Vatican II, dans son décret sur les prêtres, a également recommandé la pratique des retraites au clergé (Presbyterorum Ordinis, n° 18).

Voir aussi

Déserts ; Érémitisme ; Initiation ; Monachisme ; Quêtes ; Chamanisme.

Bibliographie

Très peu, voire rien, de nature générale a été publié sur le thème de la retraite. Des références aux retraites, à la réclusion et autres peuvent être trouvées dans n’importe quelle enquête générale sur le mysticisme hindou, musulman et chrétien, ainsi que dans les ouvrages traitant de la phénoménologie de la religion.

Les ouvrages traitant de traditions spécifiques peuvent, cependant, être recommandés. Pour une discussion des traditions de retraite dans les sociétés tribales, voir The Forest of Symbols de Victor Turner (Ithaca, N.Y., 1969). Sur le rôle de la réclusion dans la tradition monastique bouddhiste, voir Discipline de John C. Holt : The Canonical Buddhism of the Vinayapataha (Delhi, 1981). Sur la retraite dans la tradition chrétienne, la New Catholic Encyclopedia, vol. 12 (New York, 1967), comprend un article précieux de Thomas E. Dubay. Une discussion plus approfondie du sujet est disponible dans Historia de la practica de los Ejercicios Espirituales de San Ignacio de Loyola, 2 vols. (Bilbao, Espagne, 1946-1955), par Ignacio Iparraguirre. Pour le rôle de la retraite dans les églises orthodoxes orientales, voir Sobornost de Catherine de Hueck Doherty (Notre Dame, Ind., 1977). Pour une discussion des retraites musulmanes, voir le Kitāb al-khalwah de Muḥammad ibn al-ʿArabī (Aya Sofia, 1964) et les lettres 96 et 22 dans The Hundred Letters de Sharafuddin Maneri, traduites par Paul Jackson (New York, 1980).

Juan Manuel Lozano (1987)

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