The Avalon Project : Fédéraliste n°47

Les Fédéralistes : n°47

La structure particulière du nouveau gouvernement et la
Distribution du pouvoir entre ses différentes parties

Du New York Packet. Vendredi 1er février 1788.

MADISON

Au peuple de l’Etat de New York :

Ayant examiné la forme générale du gouvernement proposé et la masse générale de pouvoir qui lui est attribuée, je procède à l’examen de la structure particulière de ce gouvernement, et de la répartition de cette masse de pouvoir entre ses parties constituantes. L’une des principales objections inculquées par les adversaires les plus respectables de la Constitution est sa prétendue violation de la maxime politique selon laquelle les départements législatif, exécutif et judiciaire doivent être séparés et distincts. Dans la structure du gouvernement fédéral, aucune attention, dit-on, ne semble avoir été accordée à cette précaution essentielle en faveur de la liberté. Les différents départements du pouvoir sont répartis et mélangés de manière à détruire toute symétrie et toute beauté de forme, et à exposer certaines des parties essentielles de l’édifice au danger d’être écrasées par le poids disproportionné d’autres parties. Aucune vérité politique n’a certainement une plus grande valeur intrinsèque, ni n’est empreinte de l’autorité de protecteurs plus éclairés de la liberté, que celle sur laquelle l’objection est fondée.

L’accumulation de tous les pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, dans les mêmes mains, qu’il s’agisse d’un seul, de quelques-uns ou de plusieurs, et qu’ils soient héréditaires, autoproclamés ou électifs, peut à juste titre être prononcée comme la définition même de la tyrannie. Si donc la Constitution fédérale était réellement accusée d’accumulation de pouvoirs, ou d’un mélange de pouvoirs ayant une tendance dangereuse à une telle accumulation, aucun autre argument ne serait nécessaire pour inspirer une réprobation universelle du système. Je me persuade, cependant, qu’il sera évident pour chacun que cette accusation ne peut être soutenue, et que la maxime sur laquelle elle repose a été totalement mal conçue et mal appliquée. Pour se former des idées correctes sur ce sujet important, il convient d’examiner dans quel sens la conservation de la liberté exige que les trois grands départements du pouvoir soient séparés et distincts. L’oracle qui est toujours consulté et cité à ce sujet est le célèbre Montesquieu. S’il n’est pas l’auteur de ce précieux précepte de la science politique, il a du moins le mérite de l’exposer et de le recommander le plus efficacement à l’attention de l’humanité. Efforçons-nous, en premier lieu, de déterminer ce qu’il veut dire sur ce point. La Constitution britannique a été pour Montesquieu ce qu’Homère a été pour les auteurs didactiques de la poésie épique. De même que ces derniers ont considéré l’œuvre de l’immortel barde comme le modèle parfait d’où devaient être tirés les principes et les règles de l’art épique, et par lequel toutes les œuvres semblables devaient être jugées, de même ce grand critique politique semble avoir considéré la Constitution de l’Angleterre comme l’étalon, ou, pour employer sa propre expression, comme le miroir de la liberté politique ; et avoir livré, sous forme de vérités élémentaires, les divers principes caractéristiques de ce système particulier. Pour être sûrs, donc, de ne pas nous tromper sur son sens dans ce cas, revenons à la source d’où la maxime a été tirée.

À la moindre vue de la Constitution britannique, on doit percevoir que les départements législatif, exécutif et judiciaire ne sont nullement totalement séparés et distincts les uns des autres. Le magistrat exécutif fait partie intégrante de l’autorité législative. Lui seul a la prérogative de conclure des traités avec des souverains étrangers, qui, une fois conclus, ont, dans certaines limites, la force d’actes législatifs. Tous les membres du pouvoir judiciaire sont nommés par lui, sont révocables par lui sur l’adresse des deux Chambres du Parlement, et forment, lorsqu’il lui plaît de les consulter, un de ses conseils constitutionnels. Une branche du département législatif forme aussi un grand conseil constitutionnel du chef de l’exécutif, car, d’autre part, elle est l’unique dépositaire du pouvoir judiciaire dans les cas de destitution, et elle est investie de la juridiction suprême d’appel dans tous les autres cas. Les juges, encore, sont tellement liés au département législatif qu’ils assistent et participent souvent à ses délibérations, bien qu’ils ne soient pas admis au vote législatif. De ces faits, dont Montesquieu s’est inspiré, on peut clairement déduire qu’en disant « Il ne peut y avoir de liberté là où les pouvoirs législatif et exécutif sont réunis dans une même personne, ou dans un même corps de magistrats, » ou « si la puissance de juger n’est pas séparée des pouvoirs législatif et exécutif, » il ne voulait pas dire que ces départements ne devaient avoir aucune AGENCE PARTIELLE, ni aucun CONTRÔLE sur les actes des uns et des autres. Ce qu’il voulait dire, comme ses propres mots l’indiquent, et de façon encore plus concluante comme l’illustre l’exemple qu’il a sous les yeux, ne peut être que ceci : lorsque le pouvoir TOTAL d’un département est exercé par les mêmes mains qui possèdent le pouvoir TOTAL d’un autre département, les principes fondamentaux d’une constitution libre sont renversés. Tel aurait été le cas dans la constitution examinée par lui, si le roi, qui est le seul magistrat exécutif, avait possédé aussi le pouvoir législatif complet, ou l’administration suprême de la justice ; ou si le corps législatif tout entier avait possédé le pouvoir judiciaire suprême, ou l’autorité exécutive suprême.

Cela, cependant, n’est pas au nombre des vices de cette constitution. Le magistrat en qui réside tout le pouvoir exécutif ne peut de lui-même faire une loi, quoiqu’il puisse mettre une négation à toute loi ; ni administrer la justice en personne, quoiqu’il ait la nomination de ceux qui l’administrent. Les juges ne peuvent exercer aucune prérogative exécutive, bien qu’ils soient issus du stock exécutif ; ni aucune fonction législative, bien qu’ils puissent être conseillés par les conseils législatifs. La législature entière ne peut accomplir aucun acte judiciaire, bien que par l’acte conjoint de deux de ses branches les juges puissent être révoqués de leurs fonctions, et bien que l’une de ses branches possède le pouvoir judiciaire en dernier ressort. La législature entière, encore, ne peut exercer aucune prérogative exécutive, bien qu’une de ses branches constitue la magistrature exécutive suprême, et qu’une autre, sur la mise en accusation d’une troisième, puisse juger et condamner tous les officiers subalternes du département exécutif. Les raisons sur lesquelles Montesquieu fonde sa maxime sont une nouvelle démonstration de son sens. « Quand les pouvoirs législatif et exécutif sont réunis dans la même personne ou dans le même corps, dit-il, il ne peut y avoir de liberté, parce qu’on peut craindre que LE MÊME monarque ou le même sénat n’édicte des lois tyranniques pour les EXÉCUTER d’une manière tyrannique.  » Encore : « Si le pouvoir de juger était joint au pouvoir législatif, la vie et la liberté du sujet seraient exposées à un contrôle arbitraire, car LE JUGE serait alors LE LÉGISLATEUR. S’il était joint au pouvoir exécutif, LE JUGEMENT pourrait se comporter avec toute la violence d’un OPPOSEUR.  » Quelques-unes de ces raisons sont plus amplement expliquées dans d’autres passages ; mais brièvement exposées comme elles le sont ici, elles établissent suffisamment le sens que nous avons mis à cette célèbre maxime de ce célèbre auteur.

Si nous examinons les constitutions de plusieurs États, nous trouvons que, nonobstant les termes emphatiques et, dans certains cas, sans réserve, dans lesquels cet axiome a été énoncé, il n’y a pas un seul cas où les divers départements du pouvoir aient été maintenus absolument séparés et distincts. Le New Hampshire, dont la constitution a été la dernière formée, semble avoir été pleinement conscient de l’impossibilité et de l’inopportunité d’éviter tout mélange de ces départements, et a nuancé la doctrine en déclarant  » que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doivent être maintenus aussi séparés et indépendants les uns des autres QUE LA NATURE D’UN GOUVERNEMENT LIBRE LE PERMET ; OU AUSSI COMPATIBLE AVEC LA CHAÎNE DE CONNEXION QUI LIE L’ENSEMBLE DU TISSU DE LA CONSTITUTION EN UN LIEN INDISSOLUBLE D’UNITÉ ET D’AMITIÉ. Sa constitution mélange donc ces départements à plusieurs égards. Le Sénat, qui est une branche du département législatif, est aussi un tribunal judiciaire pour le jugement des impeachments. Le Président, qui est le chef du département exécutif, est également le membre qui préside le Sénat et, en plus d’une voix égale dans tous les cas, il a une voix prépondérante en cas de partage des voix. Le chef de l’exécutif est lui-même éventuellement élu chaque année par le département législatif, et son conseil est chaque année choisi par et parmi les membres du même département. Plusieurs des officiers d’État sont également nommés par le corps législatif. Et les membres du département judiciaire sont nommés par le département exécutif. La constitution du Massachusetts a observé une prudence suffisante, bien que moins pointue, dans l’expression de cet article fondamental de la liberté. Elle déclare « que le département législatif n’exercera jamais les pouvoirs exécutif et judiciaire, ou l’un d’entre eux ; que le département exécutif n’exercera jamais les pouvoirs législatif et judiciaire, ou l’un d’entre eux ; que le département judiciaire n’exercera jamais les pouvoirs législatif et exécutif, ou l’un d’entre eux. Cette déclaration correspond exactement à la doctrine de Montesquieu, telle qu’elle a été expliquée, et n’est pas en un seul point violée par le plan de la convention. Elle ne va pas plus loin que d’interdire à l’un des départements entiers d’exercer les pouvoirs d’un autre département. Dans la Constitution même à laquelle il est préfixé, un mélange partiel des pouvoirs a été admis. Le magistrat exécutif a un pouvoir négatif qualifié sur le corps législatif, et le Sénat, qui est une partie du corps législatif, est une cour de mise en accusation pour les membres des départements exécutif et judiciaire. Les membres du pouvoir judiciaire, encore une fois, sont nommables par le pouvoir exécutif, et révocables par la même autorité à l’adresse des deux pouvoirs législatifs. Enfin, un certain nombre d’officiers du gouvernement sont nommés annuellement par le département législatif.

La nomination aux fonctions, notamment aux fonctions exécutives, étant par nature une fonction exécutive, les compilateurs de la Constitution ont, sur ce dernier point au moins, violé la règle établie par eux-mêmes. Je passe sur les constitutions du Rhode Island et du Connecticut, parce qu’elles ont été formées avant la Révolution, et même avant que le principe examiné soit devenu un objet d’attention politique. La constitution de New York ne contient aucune déclaration à ce sujet ; mais elle semble très clairement avoir été rédigée en tenant compte du danger de mélanger indûment les différents départements. Elle donne, néanmoins, au magistrat exécutif, un contrôle partiel sur le département législatif ; et, qui plus est, elle donne un contrôle semblable au département judiciaire ; et même elle mêle les départements exécutif et judiciaire dans l’exercice de ce contrôle. Dans son conseil de nomination, les membres du législatif sont associés à l’autorité exécutive, dans la nomination des officiers, tant exécutifs que judiciaires. Et sa cour pour le jugement des impeachments et la correction des erreurs doit être composée d’une branche de la législature et des principaux membres du département judiciaire.

La constitution du New Jersey a mélangé les différents pouvoirs du gouvernement plus qu’aucune des précédentes. Le gouverneur, qui est le magistrat exécutif, est nommé par la législature ; il est chancelier et ordinaire, ou substitut de l’État ; il est membre de la Cour suprême d’appel, et président, avec une voix prépondérante, de l’une des branches législatives. La même branche législative agit encore comme conseil exécutif du gouverneur et constitue avec lui la Cour d’appel. Les membres du département judiciaire sont nommés par le département législatif et révocables par une branche de celui-ci, sur mise en accusation de l’autre. Selon la constitution de la Pennsylvanie, le président, qui est le chef du département exécutif, est élu chaque année par un vote dans lequel le département législatif prédomine. Conjointement avec un conseil exécutif, il nomme les membres du département judiciaire et forme une cour de mise en accusation pour le jugement de tous les officiers, tant judiciaires qu’exécutifs. Les juges de la Cour suprême et les juges de paix semblent également pouvoir être révoqués par le corps législatif, et le pouvoir exécutif de gracier dans certains cas est confié au même département. Les membres du conseil exécutif sont nommés EX-OFFICIO juges de paix dans tout l’État. Au Delaware, le premier magistrat exécutif est élu chaque année par le département législatif. Les présidents des deux branches législatives sont vice-présidents du département exécutif. Le chef de l’exécutif, avec six autres personnes nommées, trois par chacune des branches législatives, constitue la Cour suprême d’appel ; il est associé au département législatif pour la nomination des autres juges. Dans tous les États, il semble que les membres de la législature puissent être en même temps juges de paix ; dans cet État, les membres d’une branche sont EX-OFFICIO juges de paix ; il en est de même des membres du conseil exécutif. Les principaux officiers du département exécutif sont nommés par le législatif ; et une branche de ce dernier forme une cour d’impeachments. Tous les officiers peuvent être révoqués sur adresse de la législature.

Le Maryland a adopté la maxime dans les termes les plus inconditionnels ; déclarant que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire du gouvernement doivent être à jamais séparés et distincts les uns des autres. Sa constitution, malgré cela, fait que le magistrat exécutif peut être nommé par le département législatif et les membres de la magistrature par le département exécutif. Le langage de la Virginie est encore plus précis à ce sujet. Sa constitution déclare  » que les départements législatif, exécutif et judiciaire seront séparés et distincts, de sorte qu’aucun d’eux n’exercera les pouvoirs appartenant à l’autre, et que personne n’exercera les pouvoirs de plus d’un d’entre eux en même temps, sauf que les juges des cours de comté seront éligibles à l’une ou l’autre des chambres de l’Assemblée. Or, nous trouvons non seulement cette exception expresse, en ce qui concerne les membres des cours inférieures, mais que le premier magistrat et son conseil exécutif peuvent être nommés par la législature ; que deux membres de ce dernier sont déplacés triennalement au gré de la législature ; et que tous les principaux postes, tant exécutifs que judiciaires, sont occupés par le même département. La prérogative exécutive du pardon, également, est dans un cas dévolue au département législatif.

La constitution de la Caroline du Nord, qui déclare « que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire suprême du gouvernement doivent être à jamais séparés et distincts les uns des autres », renvoie, en même temps, au département législatif, la nomination non seulement du chef exécutif, mais de tous les principaux officiers de ce département et du département judiciaire. En Caroline du Sud, la constitution rend la magistrature exécutive éligible par le département législatif. Elle donne aussi à ce dernier la nomination des membres du département judiciaire, y compris même les juges de paix et les shérifs ; et la nomination des officiers du département exécutif, jusqu’aux capitaines de l’armée et de la marine de l’État. Dans la constitution de la Géorgie, où il est déclaré  » que les départements législatif, exécutif et judiciaire seront séparés et distincts, de sorte que ni l’un ni l’autre n’exercera les pouvoirs appartenant à l’autre « , nous trouvons que le département exécutif doit être rempli par des nominations de la législature et que la prérogative exécutive du pardon doit être finalement exercée par la même autorité. Même les juges de paix doivent être nommés par la législature. En citant ces cas, dans lesquels les départements législatif, exécutif et judiciaire n’ont pas été maintenus totalement séparés et distincts, je ne souhaite pas être considéré comme un défenseur des organisations particulières des gouvernements des différents États. Je suis pleinement conscient que, parmi les nombreux et excellents principes dont ils sont l’exemple, ils portent de fortes marques de la hâte, et plus encore de l’inexpérience, dans laquelle ils ont été conçus. Il n’est que trop évident que, dans certains cas, le principe fondamental considéré a été violé par un trop grand mélange, et même par une consolidation réelle, des différents pouvoirs ; et que, dans aucun cas, une disposition compétente n’a été prise pour maintenir dans la pratique la séparation délimitée sur le papier. Ce que j’ai voulu montrer, c’est que l’accusation portée contre la Constitution proposée, de violer la maxime sacrée du libre gouvernement, n’est justifiée ni par le sens réel que son auteur a donné à cette maxime, ni par le sens dans lequel elle a été comprise jusqu’ici en Amérique. Ce sujet intéressant sera repris dans l’article suivant.

PUBLIUS.

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